Hymnes nationales du Cameroun : un peuple, deux hymnes et une ode à la célébration de la mission civilisatrice.

Ancrée dans ce qu’il a de plus cher à savoir son patriotisme, notre chroniqueur devenu sans doute inamovible dans la mémoire de nos lecteurs et autres abonnés, vient une fois encore de faire couler l’encre rouge de sa plume pour ceux qui y voient dans ces alertes, des actes subversifs envers l’ordre établi mais vert pour ceux qui considèrent ces écrits comme une marque d’espoir d’un continent enfoui de plus en plus dans les ténèbres du néocolonialisme. Un cri lancé cette fois dans les dessous de l’hymne camerounaise dont la forme à très souvent donnée l’illusion qu’elle magnifie un berceau commun d’ancêtres camerounais pourtant dans le fond, l’Ex-ouvrier des plantations perce l’abcès pour libérer les millions de profanes du joug de ce chant quasi-dichotomique entre les fils et filles nés du désastre de la première guerre mondiale avec l’onction de la défunte Société des Nations. Bonne lecture…

« L’initiative de créer un ‘Chant de ralliement camerounais’ se situe bien, sans plus ni moins, dans le courant d’un nationalisme en tutelle, ici réducteur de la marge de liberté ou de pureté d’intention de co-auteurs. Ceux-ci vivant sous une pression politico-culturelle de rivalité européenne difficilement évitable, ils n’ont pas pu enraciner symboliquement leur œuvre dans la géographie, dans l’histoire événementielle ou profonde, dans ce qu’il y a de meilleur en ce qui concerne les traditions culturelles de leur peuple. » Thomas Théophile Nug Bissohong, L’hymne national du Cameroun : Un poème-chant à décolonialiser et à réécrire. Yaoundé, Éditions CLE, 2009, p. 38.

La version française de notre hymne national qui date de 1928 est l’œuvre des normaliens de Foulassi : René Jam Afane pour les paroles et Samuel Minkyo Bamba pour la mélodie. Écrit à l’origine puis interprété en l’honneur du Gouverneur Théodore Marchand qui est Commissaire de la République Française au Cameroun, le premier couplet de 1928 loue la mission civilisatrice en ces termes :

Autrefois tu vécus dans la barbarie

Comme un soleil tu commences à paraître

Peu à peu tu sors de ta sauvagerie

Le chercheur et universitaire camerounais Thomas Théophile Nug Bissohong précise que le texte porte en 1928 la dédicace suivante : « À Monsieur le Gouverneur Marchand, Commissaire de la République Française au Cameroun, avec les respectueux hommages de l’auteur » (Nug 37). L’hymne fut adopté en 1957 ; en 1970, la barbarie et la sauvagerie supposées du Cameroun seront supprimées et remplacées par les paroles que nous connaissons aujourd’hui. Ce contexte interroge donc sur la légitimité de ce chant à servir de cri de ralliement des Camerounais et des Camerounaises. Nug une fois de plus donne son avis tranché sur la question : « Il est clair, à mes yeux, qu’en faisant d’un citoyen français le dédicataire d’un hymne dont la vocation est de rallier tous [les Camerounais] du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, Marchand et son pays se trouvent ainsi glorifiés » (Nug 37).

La deuxième incongruité voit le jour en 1961 au moment de la réunification avec l’hymne national en anglais écrit par Bernard Fonlon. Les paroles de la version anglaise diffèrent de celles de la version française, donnant lieux à deux hymnes distincts, écrits dans deux contextes tout aussi distincts. C’est donc en rangs dispersés que francophones et anglophones chantent le Cameroun qu’ils ont pourtant en partage. L’extrême polarisation observée dans ces deux sociétés linguistiques se comprend aisément dès lors, et les conflits sous fond d’appartenance à l’une ou l’autre des langues ont ainsi leurs ramifications jusque dans nos hymnes national. La version anglaise cependant, écrite dans un contexte d’indépendance et de réunification, porte dans son premier couplet des éléments plus à même d’éclairer l’histoire et la géographie du Cameroun. Traduit en français, ce couplet s’énonce comme suit :

Ô Cameroun, berceau de nos ancêtres, Sanctuaire sacré où parmi nous ils reposent maintenant,Leurs larmes, leur sang et leur sueur ont arrosé ton sol,

Sur tes collines et tes vallées, jadis leurs cultures se sont élevées.

Chère patrie, ta valeur ne peut être exprimée par des mots !

Comment pourrions-nous jamais te rendre ce que nous te devons ?

Ton bien-être, nous le gagnerons par le labeur, l’amour et la paix,

Nous serons toujours fidèles à ton nom !

O Cameroon, Thou Cradle of our Fathers, Holy Shrine where in our midst they now repose,Their tears and blood and sweat thy soil did water,

On thy hills and valleys once their tillage rose.

Dear Fatherland, thy worth no tongue can tell!

How can we ever pay thy due?

Thy welfare we will win in toil and love and peace,

Will be to thy name ever true!

Le défi qui s’impose à notre temps est, comme le mentionne Nug dans son titre, de décolonialiser et réécrire notre hymne. En plus, le dégager de l’héritage linguistique et colonial des langues officielles que sont le français et l’anglais pour l’enraciner dans le sol fertile des langues camerounaises. Autrement, comment pourrions-nous exprimer avec pertinence et dans toute sa quintessence l’univers Cameroun (nom problématique lui aussi sur lequel nous espérons revenir un jour) dans des langues étrangères ? Les langues sont des marqueurs identitaires qui seules sont capables de nommer et désigner leur environnement.

L’anthropologie de l’espace Cameroun s’énoncera toujours mieux dans des langues camerounaises. Tout comme le medumba et le duala n’énonceront jamais aussi bien les réalités culturelles de la France ou de la Côte d’Azur que le français, pareillement le français et l’anglais n’auront jamais suffisamment d’armes pour énoncer dans leur essence le paysage socio-anthropologique du Cameroun aussi bien que le bassa, le bulu ou le fufuldé. Les hymnes se chantent toujours de préférence dans la langue du peuple concerné. En Afrique par contre, nous le faisons encore dans les langues étrangères. Pour le Cameroun nouveau que nous appelons de tous nos vœux, il nous faudra un nouvel hymne et de préférence dans une de nos langues, car la poésie chantée dans la langue qui nous définit est tout simplement du lyrisme en lévitation

Maurice Tetne

Ex-ouvrier des plantations

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Brice Ngolzok
Journaliste économique spécialiste des questions d'innovation

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