La barbarie des bidasses sur un artiste musicien camerounais à la renommée mondiale établie et abondamment relayée il y a quelques jours dans les réseaux sociaux n’a pas laissé indifférent notre chroniqueur, L’Ex ouvrier des plantations. Maurice Tetne, a ainsi garder ce qu’il a de plus chère ; son humanité et surtout sa valeur fondamentale ; celle de défendre les causes des opprimés, des laissés pour compte. Une fois de plus, de sa plume toujours aussi fine que la perspicacité de son âme, il vient dépeindre un système qui continue de se construire sur des bases despotiques avec pour principal socle, la violence sans complaisance sur ceux qu’ils sont censés protégés et garantir les libertés. Bonne lecture…
« Il n’est plus nécessaire pour exprimer ses opinions, de prendre le maquis, de vivre en exil ou de quitter sa famille ».
- Paul Biya, discours de politique générale. Bamenda, 22 mars 1985. (https://www.rdpcpdm.cm/grands-reperes-1985-1991/).
Ces propos du Président interviennent presqu’un an jour pour jour après la tentative avortée d’avril 1984 qui avait failli l’éjecter du siège présidentiel. Il s’en était alors suivi un nettoyage ethnique des ressortissants du grand nord, dont l’un des crimes était d’appartenir à la même ethnie que le prédécesseur de monsieur Biya. C’est à la suite de ces événements que l’UNC, fondée en 1966 par les soins d’Ahmadou Ahidjo subit des modifications internes pour muter et donner naissance au RDPC. La naissance du RDPC intervient donc dans une logique de rupture, du moins sur le plan de la forme et dans le but d’assurer le monopole du nouveau président qui souhaite prendre ses distances politiques et se défaire de l’autorité encombrante de son prédécesseur. Cependant, les méthodes de l’UNC en matière électorale et la répression du précédent régime vont être adoptées par le régime du Renouveau. C’est un Renouveau avec du vieux qui maintient l’appareil de répression et le perfectionne, dans le but de garantir au président la longévité politique qui est la sienne aujourd’hui.
Le discours du Président de la République ce 22 mars 1985, bien qu’empreint de beaucoup de bienveillance, devait naturellement laisser sur ses gardes toute personne ayant connaissance de la gestion brutale de l’après-putsch du 6 avril 1984. Quelques années plus tard, d’avril à novembre 1991, nous avons droit aux villes mortes avec son lot de cadavres et la répression sanglante que le régime Biya a une fois de plus servi à son peuple. Ce sont des années de peur et de psychose que l’excellent romancier camerounais Marcel Kemadjou Njanke reprend dans un style captivant dans son recueil de nouvelles intitulé La Chambre de Crayonne, paru en 2005 à l’Harmattan. Février 2008, les émeutes dites de la faim secouent de nouveau un pays en proie à une économie chancelante et au projet de modification de la Constitution par le Président. Le peuple cris son ras-le-bol et une fois de plus, c’est la réponse militaire qui lui est servie. Un article paru dans Le Monde diplomatique de l’époque et signé de Matthieu Trébuché disait alors : « Les autorités, dont la principale ambition consiste à défendre M. Biya pour continuer à bénéficier des privilèges et des faveurs que leur accorde le régime, n’ont trouvé d’autre solution que de boucler militairement les quartiers et de faire tirer sur les ‘émeutiers’. Les habitants s’étant terrés chez eux, les manifestations se sont ainsi rapidement transformées en batailles rangées derrière les barricades et les pneus enflammés, entre jeunes militaires et jeunes protestataires ».[1]
Octobre 2016, dans les zones d’expression anglaise, les avocats et les enseignants ont la mauvaise idée de réclamer des conditions meilleures de travail. La réponse est militaire et cette maladresse a conduit à la guerre civile abusivement appelée crise anglophone qui perdure. Bilan après 8 ans de guerre : dans son rapport 2024, Human Rights Watch fait état de plus de 638.000 déplacés internes et d’environ 1,7 million qui nécessitent une aide alimentaire.[2]
Plus proche de nous, l’élection présidentielle de 2018 et son lot d’irrégularités, suivi en 2019 et 2020 de répressions contre les contestataires. Les rues militarisées et l’image d’une exe-militante du MRC ensanglantée ainsi qu’un autre qui se fait tirer dessus par les forces de répression qui lui intiment l’ordre de marcher en même temps.
La violence a donc été érigée en culture par le régime de Monsieur Biya depuis qu’il préside à la destinée du Cameroun. L’irruption ces derniers jours dans les réseaux sociaux de scènes de tortures par des éléments de forces de répression s’inscrit dans la logique du mode opératoire qui a toujours été celui du régime en place, la culture de la violence et de la barbarie. Nous parlons ici de culture de la violence parce que les actes de torture ont été rendus si communs qu’ils sont désormais banalisés par certains Camerounais et relativisés par les intellectuels de minuit. Même si des décrets partisans nous ont du jour au lendemain promu à des postes d’importance, même si la nature nous a doté du maniement habile du verbe, rien ne devrait justifier notre manque d’humanisme devant des traitements aussi avilissants.
Les dictatures n’ont pas d’amis et elles vivent du sang, quelle que soit sa provenance. Rien ne leur garantit qu’après avoir défendu l’indéfendable, ces intellectuels ne subiront pas le même sort de la part de leurs amis d’hier. Pour exprimer ses opinions, il est plus que nécessaire aujourd’hui, 39 ans après le discours du Président de la République, de s’exiler et de prendre le maquis. Entre ses mots et les réalités sur le terrain, il y a tout un monde. Le président disait il y a longtemps qu’il voudrait qu’on retienne de lui l’image de celui qui aura apporté la démocratie au Cameroun. A-t-il réussi son pari ? Question rhétorique !
Maurice Tetne
Ex-ouvrier des plantations
[1] Matthieu Trébuché, « Triste bilan au Cameroun » in Le Monde diplomatique, 4 mars 2008.
[2] https://www.hrw.org/fr/world-report/2024/country-chapters/cameroon
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