Que cache la persécution des médias privés au Cameroun à la veille du scrutin présidentiel ?

C’est une nouvelle missive adressée aux camerounais d’en haut que vient de nous produire notre chroniqueur inamovible, l’Ex-ouvrier des plantations, Maurice Tetne. Dans son style connu de nos lecteurs et de nos abonnés, notre spécialiste vient ici interpellé les patriotes de façade, défenseurs aux heures les plus sombres de la politique de l’homme du 06 novembre 82 sur les dérives contre les médias privés au Cameroun. Comme un visionnaire des temps modernes, notre érudit tire la sonnette d’alarme afin que la presse soit libre car « l’état de démocratisation d’un pays se mesure à l’aune de sa liberté de presse. » Un sacro saint principe illustré dans ces propos de Windson Churchill qui est loin d’être l’apanage du Cameroun et que décrie ici notre belle plume. Bonne lecture à tous… 

« La politique du “grand parti national unifié” constitue une démarche de modification substantielle des règles pragmatiques du jeu politique. Les clauses constitutionnelles relatives au multipartisme demeurent. Mais la monopolisation de l’offre partisane par une seule entreprise vise à construire une nouvelle représentation de la pratique politique à l’aire des règles non juridiques, du consensus qui s’appuient sur “la force du droit” politique et produisent une police de significations, disciplinent les comportements des acteurs politiques » (p. 94). Luc Sindjoun, « Élections et politique au Cameroun : concurrence déloyale, coalitions de stabilité hégémonique et politique d’affection », Revue africaine de science politique, Juin 1997, Vol. 2, No.1, pp. 89-121.

Luc Sindjoun décrit ici les mécanismes hégémoniques de conservation du pouvoir politique et de contrôle de l’expression des suffrages par le président Ahidjo au début des années 1960. La machine savamment montée a permis au regretté président de s’assurer une longévité politique à la tête de l’état qui n’est pas rare à cette époque dans les pays nouvellement « indépendants ». Le constat reste presque le même si on le compare aux leviers institutionnels du Cameroun plus de soixante ans plus tard. Le régime Biya (qu’on appelle abusivement la deuxième république) est une extension du régime Ahidjo. Il tient ses acquis des fonts baptismaux qui ont garanti la pérennisation du pouvoir qui l’a précédé.

L’élection de 2025 au Cameroun n’augure rien de bon pour le Cameroun, car les tensions politiques et le zèle étouffant des partisans du régime sortant prennent des proportions inquiétantes. Un appareil d’état, le Conseil National de la Communication (CNC) entre dans la danse et renie publiquement le caractère impartial qui devrait être le sien pour se livrer, toute honte bue, à une campagne de persécution des médias qui n’épousent pas un narratif laudateur envers le candidat sortant. Communiqué, notes, circulaires, constituent de la part des partisans du pouvoir sortant, une littérature pompeuse dont le but est, en cette veille d’élection, de se distinguer par des gymnastiques de tout genre pour mériter ou justifier son maintien dans le sérail. Premières victimes de ces agitations, les médias et les partis politiques d’opposition (le tour du peuple ne saurait tarder).

Il s’exerce sur les médias une pression qui vise à contrôler le narratif éditorial et commander les sujets de débats publics. Le code électoral est taillé sur mesure pour permettre, même si nous sommes dans un multipartisme indolent, au candidat Paul Biya de ne jamais perdre une élection au Cameroun ; le Conseil Constitutionnel leur est déjà acquis. En effet, la loi No. 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 2 juin 1972 et modifiée par la loi No 2008/001 du 14 avril 2008 stipule en son article 51 que le conseil constitutionnel est composé de onze membres dont le président est nommé par le Président de la République ; trois autres membres sont nommés par le Président de l’Assemblé nationale après avis du bureau. Cependant, le président de l’Assemblée nationale est lui aussi fervent militant du parti au pouvoir, c’est-à-dire servilement dévoué aux caprices de son chef. Trois autres sont nommés par le Président du Sénat après avis du bureau, mais ledit président est aussi un inconditionnel du Président de la République. C’est donc ce Conseil Constitutionnel qui doit servir d’arbitre en cas de contentieux électoral. Autant dire que le mot IRRECEVABLE viendra encore hanter l’esprit des Camerounaises et des Camerounais. Il faut ajouter à ceux-ci les gouverneurs de régions, les préfets de départements et les sous-préfets d’arrondissements qui sont de véritables relais de fraude, chacun dans son territoire de compétence.

Si tout leur est acquis et leur victoire certaine, comment comprendre l’acharnement sur les médias qui émettent un son discordant ? Les yeux fermés, le président Paul Biya gagnerait n’importe quelle élection en l’état actuel de l’appareil qui lui garantit une victoire certaine avec les scores qu’on connait. Les médias sont des instruments d’information de masse. Le zèle avéré du CNC vient donc à point nommé pour asphyxier cet effort dont le but est de proposer au peuple un autre son de cloche à une période où le pays est à la traine sur presque tous les domaines. Ce même peuple (une partie du peuple faut-il le préciser) à qui on refuse des informations de qualité susceptibles de conduire à un vote intelligent et mûrement pensé se verra offrir du pain et de la sardine pour instruments de persuasion en période de campagne électorale. Le langage du ventre, couplé à un appareil d’état acquis à la cause du candidat sortant conduira au plébiscite de ce dernier sous le regard impuissant de ceux et celles qui se battent pour un réel changement. La presse est aujourd’hui divisée et il y a un déficit de solidarité envers les organes persécutés. C’est un secret de polichinelle, il existe bel et bien au Cameroun des médias à gage chargés de nourrir les divisions sur fond d’un tribalisme hystérique et qui curieusement ne font pas l’objet du même acharnement de la part du CNC. L’imposture électorale se met progressivement en place (comme d’habitude) et se taire devant cette injustice c’est consacrer le règne de la médiocrité. Le musellement continue avec dorénavant interdiction formelle de se prononcer sur la santé du chef de l’état qui a déjà un certain âge et dont les moindres faits et gestes devraient logiquement préoccuper ceux qu’il gouverne. Les jours et mois prochains n’augurent rien de bon pour le Cameroun. Combien de familles vont être une fois de plus endeuillées ? Combien de prisonniers d’opinion iront grossir les effectifs de nos prisons déjà surpeuplées ? Allons-nous encore pour sept années marcher à reculons dans un monde qui connait des bouleversements majeurs pour l’autonomie des peuples du sud global ? Le Cameroun comprend-il le tournant qui s’offre à lui pour rattraper son retard politique, économique et culturel ? Le président disait il y a longtemps qu’il voudrait qu’on retienne de lui l’image de celui qui aura apporté la démocratie au Cameroun. A-t-il réussi son pari ? Question rhétorique !

Maurice Tetne

Ex-ouvrier des plantations

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Brice Ngolzok
Journaliste économique spécialiste des questions d'innovation

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