le modèle de management des entreprises du secteur public est obsolète

Interview: Aristide MILOL, Expert financier et Président Directeur Général de Invest Consulting Group

Les informations récentes font état d’une incessante demande de la part de la Camair-Co, entreprise publique afin de bénéficier d’une énième subvention auprès son éternel financier qu’est l’Etat. Tout comme elle de nombreuses sociétés d’Etat sont sur la voie de la  banqueroute. Que pensez-vous de la gestion des entreprises publiques au Cameroun ?

Bonjour M. Brice Ngolzok, avant de répondre à votre première question, je souhaiterai tout d’abord faire une clarification sémantique, pour être sûr que nous parlerons de la même chose ;

C’est ainsi que je vais évoquer la LOI N° 99/016 DU 22 DECEMBRE 1999 PORTANT STATUT GENERAL DES ETABLISSEMENTS PUBLICS ET DES ENTREPRISES DU SECTEUR PUBLIC ET PARAPUBLIC en ces articles 2 (3) ; 2 (5) ; 2 (6)

2 (3) Etablissement public administratif : personne morale de droit public, dotée de l’autonomie financière et de la personnalité juridique ayant reçu de l’Etat ou d’une collectivité territoriale décentralisée un patrimoine d’affectation, en vue de réaliser une mission d’intérêt général ou d’assurer une obligation de service public.

2 (5) Société à capital public: personne morale de droit privé, dotée de l’autonomie financière et d’un capital – actions intégralement détenu par l’Etat, une ou plusieurs collectivités territoriales décentralisées ou une ou plusieurs autres sociétés à capital public, en vue de l’exécution dans l’intérêt général, d’activités présentant un caractère industriel, commercial et financier.

2 (6) Société d’économie mixte: personne morale de droit privé, dotée de l’autonomie financière et d’un capital – actions détenu partiellement d’une part, par l’Etat, les collectivités territoriales décentralisées, ou les sociétés à capital public et d’autre part, par les personnes morales ou physiques de droit privé.

ADC, SOCIETE PUBLIQUE

Il faut préciser ici que l’autonomie financière est aussi clarifiée au sens de cette même loi, comme étant La capacité pour une personne morale d’administrer et de gérer librement les biens meubles ou immeubles, corporels ou incorporels ou en numéraire constituant son patrimoine propre, en vue de réaliser son objet social.

Une fois que ces différences ont été établies, je peux répondre sans risque de me tromper sur l’objectif de votre entretien.

Ceci dit, puisque vous évoquiez dès l’entame de votre propos la question de Camair-Co, je suppose que nous sommes dans la catégorie des  sociétés à capital public, puisqu’elle en est une, au même sens que la Cameroon Development Corporation (CDC), Cameroon Telecommunication (CAMTEL), la Société Sucrière du Cameroun (SOSUCAM), Hôtel SAWA, la Société d’Expansion et de Modernisation de la Riziculture de Yagoua (SEMRY), Aéroport du Cameroun (ADC) et quelques autres encore, pour ne citer que celle-là, sans être exhaustif.

En ce qui concerne la gestion des sociétés à capital public, l’article 8 de la loi sus évoquée, dans son alinéa (1) précise : « Le suivi de la gestion et des performances des établissements publics administratifs et des entreprises du secteur public et parapublic est assuré par le Ministère chargé des finances ».

En ce qui me concerne, je pense que la gestion des entreprises du secteur public est victime de la concurrence, celle-là même qui intègre l’adaptation à un modèle de  management plus sophistiqué et plus propice à la réalité internationale, surtout dans ce monde qui se veut de plus en plus mondialisé. En d’autres termes les entreprises du secteur public ont du mal à s’adapter à la globalisation qui est de plus en plus exigeante en termes de management.

En effet le modèle de management des  entreprises du secteur public est obsolète ; il y a dans les faits l’article 21 alinéa (1) de la LOI N° 99/016 DU 22 DECEMBRE 1999 PORTANT STATUT GENERAL DES ETABLISSEMENTS PUBLICS ET DES ENTREPRISES DU SECTEUR PUBLIC ET PARAPUBLIC qui semble ne pas être respecté, « Les fonctions de président du conseil d’administration d’un établissement public administratif, d’une société à capital public ou d’une société d’économie mixte, à participation publique majoritaire, sont incompatibles avec celles de membre du gouvernement, de parlementaire, de directeur général ou de directeur général adjoint des établissements publics administratifs et des entreprises du secteur public et parapublic ». Cela est déjà une entorse dans la gestion de ces entreprises, à partir de ce moment la structure de gestion est remise en question, et je ne m’arrête qu’à cet article seulement pour démontrer le caractère vicié qui existe dans le management de ces sociétés aux capitaux publics.

Nous savons aussi que l’analyse traditionnelle de la gouvernance d’entreprise privilégie les relations entre les dirigeants et les propriétaires de l’entreprise, le but étant d’aligner les intérêts du dirigeant sur ceux des propriétaires. L’accent est alors mis sur la maîtrise de la latitude managériale.

Ainsi, outre le diagnostic récurrent de leurs faibles performances, on peut s’interroger, d’une part sur l’incapacité de l’Etat à empêcher le détournement endémique des lois, des règlements et des fonds publics mobilisés dans ces entreprises ; d’autre part, sur la longévité des dirigeants aux sommets de ces entreprises.

Les mauvais résultats sont-ils la résultante d’une incompétence généralisée du personnel ou le fait de choix stratégiques inadaptés des instances décisionnaires de ces sociétés ?

En réalité tout y va, de la stratégie aux ressources humaines, tout cela est une question de modèle de management, car on constate en effet l’inefficacité « voulue » de l’encadrement du conseil d’administration de ces sociétés, qui laisse une marge de manœuvre importante au dirigeant, qui jouit d’importants pouvoirs informels fondés entre autres sur le caractère non concurrentiel du marché des biens et services, la quasi inexistence du marché financier, l’ancrage politique du marché des dirigeants publics, le fonctionnariat des membres du conseil d’administration et l’aptitude du dirigeant à développer des mécanismes d’enracinement, tout cela participant à l’inefficacité de ses choix stratégiques.

CAMAIR-CO, L’ETOILE DU CAMEROUN

Outre le caractère défaillant du dirigeant et la relation d’agence qui existerait entre ce dernier et le personnel des sociétés à capital public, il se fonderait un caractère ambivalent du pouvoir du dirigeant qui se retrouve dans l’asymétrie et l’imperfection de l’information, l’opportunisme des acteurs et l’incertitude environnementale.

Comme je l’ai dit plus haut, chaque modèle a une orientation en termes de contrôle (choix stratégiques des dirigeants et des actionnaires « Le pouvoir du dirigeant est envisagé soit en direction des propriétaires, soit en direction des employés et des autres parties prenantes de l’entreprise, et au travers des concepts d’autonomie, d’indépendance, et d’autorité ») et de performance (dans les qualités des dirigeants et du personnel en général, dont, les ressources humaines).

Un style bien pensé de management est à la fois organisationnel et faiblement relationnel. Ici le manager responsabilise, délègue et évalue. Il valorise l’ensemble des collaborateurs et sollicite pleinement leurs compétences.

Par ailleurs je tiens quand même à préciser qu’une stratégie ne se base que sur des objectifs bien définis, si l’objectif c’est de faire un résultat positif, alors on y mettra des stratégies pour atteindre ce résultat.

Une méthode d’évaluation des compétences devraient être mis sur pied pour mieux opérationnaliser les recrutements en même temps des dirigeants que du personnel tout entier, afin qu’à partir d’une stratégie d’anti-sélection ou de sélection adverse, l’on ne puisse avoir que des candidats compétents et intègres.

Les meilleurs modèles de managements des entreprises aujourd’hui sont anglosaxons, il me semble que si l’Etat avait, un temps soit peu, un souci de rentabilité dans ses entreprises il les calquerait à cette tendance mondiale.

Pour faire illustration nous présentons ici la dernière génération de management baptisé « Harmocratie ». Il s’agit d’une organisation organo-intuitive, le manager doit être éclairé, devenir un compositeur habile qui laisse s’exprimer la créativité et l’innovation dans l’entreprise.

Quel serait selon vous la clé de voûte pour une rentabilité efficace et efficiente des entreprises d’Etat? 

Bon écoutez, le problème il est fondamental, c’est la logique qui incarne le management des entreprises du secteur public qui est remis en question, peu importe ce qui pourrait y être fait, si cette logique n’évolue pas, ces entreprises ne seront pas rentables.

Un petit constat simple :

Des entreprises du secteur public, des EPA, des sociétés d’économie mixte ont été répertoriés et dont les résultats ont été présentées dans la loi de finances, plus d’une dizaine présente un résultat déficitaire seulement pour 2016, tout le monde le sait ;

CAMTEL, ENTREPRISE HISTORIQUE DE TELECOMMUNICATION
  • Agence Nationale des Forêts (ANAFOR), Société à capitaux publics (- 31 millions)
  • Cameroon Airline Company  CAMAIR-Co, Société à capitaux publics (- 12 milliards)
  • Cameroon Development Cooperation (CDC),  Société à capitaux publics (- 10 milliards)
  • Chantier naval et industriel du Cameroun (CNIC), Société d’économie mixte (– 5 milliards)
  • Electricity Development Corp (EDC), Etablissement Public Administratif (- 2 milliards)

Une remarque est celle-ci, 80% de ces entreprises qui sont ici en difficultés sont d’abord celles qui sont détenus intégralement par l’Etat, et sont celles qui font face à une forte concurrence, et n’arrive pas à tenir le coup, elles bénéficient fréquemment des subventions publiques. Non seulement elles font face à la concurrence en terme de services ou biens produits, mais en plus elles n’arrivent pas à se moderniser suffisamment pour rendre leurs services ou biens plus attrayant et compétitifs, pire encore, elles n’arrivent pas à moderniser leurs systèmes de production ou de commercialisation de ces services ou biens.

La clé de voûte est donc l’adaptation de la méthode de management, la modernisation de l’appareil productif.

La privatisation serait-elle une alternative pour de meilleurs résultats ?

Privatiser au sens de Bretton Woods ? Non je ne crois pas, ce n’est pas la bonne alternative.

La privatisation d’une entreprise publique consiste dans le transfert, au profit du secteur privé, du contrôle exercé par les pouvoirs publics sur ladite entreprise.

Elle emporte par ailleurs des effets démultiplicateurs : soumission de l’entreprise privatisée aux mécanismes de marché ; révision de la réglementation des sociétés cotées dans le sens d’une prise en considération, le cas échéant exclusive, de la maximisation des investissements des actionnaires ; recul de la réglementation étatique au profit d’instruments privés de régulation. Couplé à d’autres évolutions (recours accru des pouvoirs publics aux structures sociétaires ; multiplication des financements privés ; ouverture généralisée à la concurrence), fin des subventions et place à la performance et à la compétence managériale.

SEMRY DE YAGOUA

Privatiser dans ce sens ci ? Oui ce pourrait être une alternative, mais ce qui est encore meilleur c’est l’ajustement structurel et managérial des sociétés à capitaux publics au niveau des standards internationaux.

En tout cas le marché est plus régulateur que l’Etat pour certains domaines, il faut le préciser, dans les domaines du patrimoine national et des biens collectifs ou publics, l’Etat y reste régalien. Il y a au sein du MINFI, une commission : la Commission Technique de Réhabilitation des Entreprises Publiques (CTR), dont le rôle fondamental et crucial est de proposer des solutions à la situation d’hémorragie financière dans laquelle se trouvent les sociétés publiques.

Le visage des sociétés d’Etat n’est-il pas en quelque sorte à l’image du système économique camerounais actuel ?

Probablement, mais à mon avis la gouvernance publique est en panne, ce qui n’est pas le cas de la gouvernance privée, qui s’en sort beaucoup plus aisément dans le jeu des objectifs et des rendements.

En effet dans la gouvernance publique la gestion de la décision (initiative de la décision et mise en œuvre de la décision) est assurée par le dirigeant opérationnel, alors que le contrôle de la décision (ratification de la décision et surveillance de l’exécution) l’est par le conseil d’administration. Toutefois, étant donné que les membres du conseil d’administration sont aussi des agents de l’Etat et non pas des actionnaires-propriétaires, la présence concomitante des deux organes de « gestion » à la tête de l’entreprise publique camerounaise est vectrice de conflits et surtout d’incompréhension dans l’administration au quotidien de ces entreprises. Voilà en quoi la gouvernance publique des sociétés à capital public constitue un frein à la performance de ces dernières.

A mon avis, faudrait pas jeter le bébé avec l’eau du bain, le système économique camerounais a encore des beaux jours devant lui, et il n’a pas encore atteint le plein régime de son fonctionnement, obstrué d’une part par sa faible capacité d’absorption, et d’autre part par un environnement des affaires un peu difficile.

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Brice Ngolzok
Journaliste économique spécialiste des questions d'innovation

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